« La route » de Jan Verkade (1868-1946)
Vente aux enchères du 21 décembre 2008. « La route » de Jan Verkade adjugé 112.000€
« Dans un environnement que chacun reconnaît comme très morose, les bonnes pièces continuent à faire de bons prix et l'art, à réunir les collectionneurs ». Conclusion enthousiaste de M e Lennon, commissaire-priseur de l'étude Thierry-Lennon, hier soir, après la clôture de la vente organisée à l'hôtel des enchères de Brest autour de la Bretagne et de ses peintres. Parmi les 496 oeuvres figurant au catalogue, certaines ont été adjugées à des prix élevés. C'est le cas pour « La route », une huile de Jan Verkade (1868-1946), peintre proche de Paul Gauguin et représentatif de l'école de Pont-Aven, qui a trouvé acquéreur à 112.000 €, quand son estimation était comprise entre 80.000 € et 100.000 €. C'est également le cas pour « La couronneuse », de Paul Sérusier (1864-1927), une toile d'esprit médiéval adjugée à 78.000 €, alors qu'elle était estimée entre 40.000 € et 50.000 €.
source le télégramme édition du 22 décembre 2008
Les chemins de la couleur
Qui a dit qu’il fait gris en Bretagne ? Vues avec les yeux de Jan Verkade,
ses routes se parent de couleurs éclatantes. La palette de la modernité.

Jan Verkade ( 1886-1946),
La Route, vers 1891,
huile sur toile, 83, x 57 cm.
Vente à Brest, dimanche 21 décembre.
Thierry - Lannon & Associés
On a vite fait de résumer les Nabis aux seules figures de Gauguin et de Sérusier. Une méprise qui tient pour beaucoup aux rôles de ces deux fortes personnalités, à qui le groupe, le synthétisme et, d’une manière plus générale, la peinture moderne doivent beaucoup. Que l’on songe seulement à ces recommandations du peintre des Tropiques, d’abord exilé en terre bretonne : "Comment voyez-vous cet arbre ; il est vert ? Mettez donc du vert, le plus beau vert de votre palette. Et ceux-ci, ils sont jaunes... eh bien, mettez du jaune. Et cette ombre, plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible... Ces feuilles sont rouges ? Mettez du vermillon." On le sait, cette fameuse leçon de peinture allait marquer une génération de peintres, notamment le jeune Verkade, fraîchement débarqué de sa Hollande natale.
Après deux petites années – pas vraiment convaincantes – à l’Académie des beaux-arts d’Amsterdam, un court apprentissage auprès de son beau-frère Jan Voerman, Verkade arrive à Paris, en 1891, non s’en avoir au préalable fait escale à Bruxelles et découvert, à l’occasion de l’exposition des «XX», les oeuvres de Van Gogh et de Gauguin. Première révélation. Dès son arrivée dans la capitale, en février, Jan Verkade entre de plain-pied dans l’avant-garde.
Oubliée la retraite à Hattem, le jeune homme se grise de la vie parisienne, découvre au Louvre et au Luxembourg les toiles des grands maîtres, fréquente les symbolistes du café Voltaire... C’est grâce à son compatriote, le Hollandais Meyer de Haan, que Verkade rencontre le duo Gauguin-Sérusier. Il sera d’ailleurs convié au joyeux banquet donné en l’honneur du départ du premier pour Tahiti et fera même partie, le 4 avril 1891, de la petite équipe de fidèles à saluer le peintre le jour de son départ. Février-mars, une formation éclair, donc, dont Verkade saura tirer profit. En témoigne ce paysage coloré peint vraisemblablement cette année-là, lors de son séjour en Bretagne.
L’artiste y applique à la lettre les recommandations de Gauguin : les arbres sont jaunes ou orangés, les maisons d’un bleu franc, parfois rosé ; la palette est dense, le dessin simplifié, presque schématique. Bref, une toile emblématique, qui faisait d’ailleurs partie de l’exposition consacrée à notre artiste au musée des beaux-arts de Quimper, en 1989. On peut aussi voir dans ce séjour à Pont-Aven, au printemps 1891 en compagnie de Ballin et de Sérusier, une forme de pèlerinage : "La première impression que me fit la Bretagne a été une impression de charme indicible", écrira le peintre dans Le Tourment de Dieu.
Deuxième révélation. En juin, les trois hommes gagnent Huelgoat, petit village des monts d’Arrée, non loin de Pont-Aven. Sur le chemin du retour, Verkade découvre encore le village de Saint-Nolff. On sait qu’il y reviendra sous l’emprise d’une profonde crise spirituelle, qui le mènera à choisir la vie monastique à l’abbaye de Beuron, en 1893.
L’aventure nabi en terre bretonne n’aura finalement duré que deux petites années. Mais quelles années !
Stéphanie Perris-Delmas